lundi 24 novembre 2025

AF 447 : déroulement de l’instruction et des procès. Plusieurs faits m’interpellent.

 

Chronologie.

1er juin 2009 : Accident du vol AF 447. 228 passagers et membre d’équipages décèdent.

5 juin 2009 : ouverture d’une information judiciaire des chefs d’homicides involontaires.

17 et 18 mars 2011 : mise en examen d’Airbus et d’Air France

29 août 2019 : non-lieu général. Selon les juges, les pilotes ont eu des actions inadaptées sur les commandes de vol. L’accident s’explique par une conjonction d’éléments qui ne s’était jamais produite et qui a donc mis en évidence des dangers qui n’avaient pu être perçus avant cet accident.

12 mai 2021 : la 4ème chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris infirme l’ordonnance de non-lieu, renvoie Airbus et Air France en correctionnelle. Airbus a sous-estimé la gravité des défaillances des sondes Pitot équipant l’A330, et n’a pas pris toutes les dispositions nécessaires pour informer d'urgence les équipages des sociétés exploitantes et contribuer à les former efficacement pour pallier le risque en résultant, ce qui a empêché les pilotes de réagir comme il le fallait et créé la situation conduisant à l'accident. Air France n’a pas mis en œuvre une formation adaptée à la procédure à suivre en cas de givrage des sondes Pitot et des dysfonctionnements en résultant et l'information des équipages qui s'imposait pour assurer la sécurité des opérations aériennes, ce qui a empêché les pilotes de réagir comme il le fallait et contribué à la réalisation de l'accident.

17 avril 2023 : le tribunal judiciaire de Paris relaxe Airbus et Air France. Ces 2 sociétés ont commis des fautes de négligence et d’imprudence mais la certitude de leur rôle causal dans la survenance de l’accident ne peut être démontrée.

29 septembre au 28 novembre 2025 : Procès en appel de ces relaxes. Débats expédiés en 4 semaines effectives.

Plusieurs faits m’interpellent :

Les recherches de l’épave

La volonté de ne pas impliquer l’EASA, la DGAC, le BEA

L’emprise d’Airbus

Le mystère de la recrudescence des cas de blocage

La volonté des avocats de ne pas débattre sur le non-respect de la règlementation

Une situation catastrophique à l’origine de l’accident non débattue.

1.     Les recherches de l’épave :

Tout le monde a su très rapidement que l’A330 avait décroché mais le BEA a refusé cette option et privilégié le choix impossible de « la vitesse horizontale maximale de l’avion » pour déterminer la zone des recherches. Un avion qui tombe à plat ne peut pas avoir une vitesse horizontale maximale. Ces présomptions fortes, établies dès la première phase des recherches, incitaient pourtant à concentrer les moyens autour de la dernière position connue de l’A330. Le BEA a-t-il cherché ailleurs et nous a-t-il volontairement roulés dans la farine ? Airbus en a-t-il profité pour récupérer rapidement les enregistreurs CVR et FDR ?

Mon analyse complète des recherches de l’épave peut être consultée ICI.

2.     La volonté de ne pas impliquer l’EASA, la DGAC, le BEA

Dès le début de l’instruction, la juge en charge du dossier avait prévenu les parties civiles : pas question d’impliquer et de mettre en cause la DGAC, l’EASA et le BEA. A mon avis, cette volonté vient de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait chargé très fortement la DGAC et le BEA dans le procès Concorde.

Dans son Arrêt, la Cour d’Appel avait en effet constaté

  • Que le BEA n’avait pas respecté de Code de l’aviation civile pendant le déroulement de l’enquête technique
  • Que le BEA n’avait émis aucune recommandation après 1981 malgré les nombreux accidents et incidents graves qui ont eu lieu
  • Que l’enquête technique du BEA relative à l’accident de Washington en 1979 avait été menée dans un contexte de pression politique
  • Que la DGAC n’avait pas proposé la suspension du certificat de navigabilité du Concorde alors qu’elle s’imposait dès 1979 et ensuite en 1985 et 1993
  • Que la DGAC avait commis plusieurs fautes de négligence
  • Que l’organisation en France relative à la certification, au suivi et maintien de navigabilité était de mauvaise qualité…

Pas question donc de refaire les mêmes erreurs pour AF 447 en mettant en cause le fonctionnement des institutions et donc leur légitimité. Cela engendre le chaos.

Pour preuve, quinze ans après le crash du vol Yemenia 626, la compagnie Yemenia Airways a été condamnée en appel à Paris pour homicides involontaires, en lui imputant des « défaillances en lien certain avec l'accident ». Ce fut un procès « à minima », tous les responsables de ce drame n’ayant pas été condamnés. En effet, la Commission européenne avait décidé de ne pas inscrire la compagnie Yemenia sur sa liste noire alors qu’elle aurait dû l’être. C’est un lien de causalité certain avec l’accident. L’analyse complète de cette farce de justice est à lire ICI.

3.     L’emprise d’Airbus

29 septembre 2015. Dans le Safety Information Bulletin N° 2015-17 « Unreliable Airspeed Indication at High Altitude », l’EASA affirmait ceci : L’incapacité des pilotes à reconnaître et à réagir correctement à une indication de vitesse erronée peut entraîner une perte de contrôle.

Mais le 16 octobre suivant, cette affirmation devenait dans la révision 1 de ce bulletin de sécurité : L’incapacité des pilotes à reconnaître et à réagir correctement à une indication de vitesse erronée peut entraîner une perte de contrôle, en cas de réaction inappropriée de l’équipage.

Pourquoi cet ajout si ce n’est pour dédouaner Airbus de toute responsabilité dans l’accident du vol AF 447 ?

24 septembre 2018. Les experts déposent le rapport définitif de contre-expertise. Dans le rapport provisoire, ils avaient affirmé :

« La caractérisation en UNSAFE CONDITION des incidents d’indications erronées de vitesse consécutifs au givrage des sondes n’a pas été reconnue ni par le constructeur ni par les autorités nationale et européenne alors qu’elle l’avait été en 2001 »

Et

« L’absence de classement par l’agence européenne de sécurité aérienne des incidents d’indications de vitesse erronées en situation compromettant la sécurité [UNSAFE CONDITION] est une cause indirecte de l’accident qui a pu amener l’équipage à perdre le contrôle de la trajectoire sans pouvoir le récupérer »

Dans leur rapport définitif, les experts judiciaires font un virage à 180° et affirment cette fois le contraire :

« Avant l'accident, les statistiques d'occurrence des incidents d'indications erronées de vitesses consécutifs au givrage des sondes restaient inférieures à 10⁻⁵ par heure de vol, ce qui justifiait l'absence de caractérisation en "UNSAFE CONDITION" ».

Les conclusions du rapport provisoire impliquaient Airbus. Revirement total dans le rapport définitif.

4.     Le mystère de la recrudescence des cas de blocage

Pendant toutes les années d’instruction et après 2 procès, personne n’a su nous expliquer la recrudescence des cas de blocages à partir de 2008.

Le système de réchauffage des sondes Pitot (PHC) étaient affectés d'un taux de défaillance important depuis 1998 : alarmes intempestives. Afin de limiter le nombre d'alarmes présentées à l'équipage, des modifications ont été apportées au PHC à partir de 2007.

La recrudescence des évènements semble concomitante avec la modification du logiciel des calculateurs de réchauffage des sondes.

Autre possibilité : ce type de sonde était obsolète après 18000 heures de vol (AF 447 18870 h/vol). La recrudescence des incidents à partir de 2007 s’explique-t-elle par un nombre important de sondes TAA devenues obsolètes ? Ce type de sonde vieillissait très mal.

5.     La volonté des avocats de ne pas débattre sur le non-respect de la règlementation

Une responsabilité pénale repose sur l’article 121-3 du code pénal.

« Il y a délit en cas de faute de manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Ne pas avoir ouvert les débats sur les manquements à des obligations de sécurité prévues par la loi ou le règlement pendant le procès correctionnel et en appel constitue à mes yeux une lacune incompréhensible. « C’est le rôle du procureur » m’a-t-on dit. Pourquoi ce refus ?

Nous avons publié 10 articles concernant le non-respect de la règlementation par Airbus et Air France (R 216/2008, JAR 25, OPS 1) sur le blog  entre les 11 et 29 juin : Débats 7 à Débats 7-9. Ils peuvent être consultés ICI

6.     Une situation catastrophique à l’origine de l’accident non débattue.

La perte de toutes les informations de vitesse (effective lors de l’accident du vol AF 447) + la perte de la protection contre le décrochage (effective en loi ALT2 dite B) + la perte de l’alarme de décrochage est un risque catastrophique selon une analyse de sécurité d’Airbus effectuée en 1999. J’ai démontré dans la 1ère partie de mon "témoignage fantôme" que l’alarme de décrochage était fortement dégradée entre 2:10:05 et 2:10:54. Cette situation catastrophique n'a jamais été analysée pendant toute l’instruction ni débattue pendant les procès. C’est pour cela que mon témoignage devant la Cour d’appel de Paris avait une grande importance. Je n’ai pas pu témoigner par la volonté des avocats.

Les débats étant définitivement terminés, ces faits qui m’interpellent n’auront jamais d’explication.

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